IPP – Institut Pyrénéen de la Photographie
L’ACTE FONDATEUR : LE MANIFESTE
» Le photographe accompagne le monde bien plus qu’il ne le fige. »
Serge TISSERRON « Le mystère de la chambre claire », 2018
Le fondement de ce « Manifeste » n’est pas anodin : il implique en effet la responsabilité d’un engagement, la défense d’une vision, l’exposé de convictions et alerte ainsi le Massif pyrénéen y compris ses ancrages méditerranéens et atlantiques, sur l’urgence de rétablir la photographie à la fois dans ce qu’elle exprime du défilement du temps inscrit dans notre mémoire collective (Archives publiques et Fonds privés), mais aussi dans ce qu’elle permet de saisir, par ses capacités narratives et documentaires, de l’actualité d’une transformation sociale dont ces territoires sont aujourd’hui l’objet. Car en l’absence de travaux photographiques actualisés sur le Massif ne sommes-nous pas condamnés aujourd’hui à réfléchir à son avenir sans véritable représentation de ce que nous sommes ? Souhaitons-nous vraiment actualiser notre regard sur ces territoires, où préférons-nous échapper à ce travail de réalité par des images stéréotypées voire instrumentalisées au service d’un certain pouvoir du marché ? Comment définir alors cette responsabilité de l’image documentaire qui engage ce Manifeste ?
Si la photographie constitue ce langage universel accessible à tous, potentiellement saisi comme un acte de création et de pensée, ce Manifeste souligne ce pouvoir de l’image de documenter le monde sur ses évolutions, sur ses nouvelles configurations dans l’objectif d’actualiser notre perception et notre façon de voir, et au final, nos propres modalités de décisions et d’actions. Nous pensons avec les images que nous avons en tête, et nos représentations mentales guident notre action. Travailler à une actualisation photographique des territoires pyrénéens et de leurs enjeux autour d’une production documentaire d’auteurs selon l’esprit conduit par la Bibliothèque Nationale de France (BNF), revient à élargir les modalités classiques de l’aménagement du territoire et à faire de la photographie, en plus de son rôle de production culturelle, un outil utile de la décision publique sur le court, moyen et plus long terme. C’est ainsi créer du lien entre production culturelle et aménagement du territoire dans une démarche d’appartenance commune mais aussi d’innovation au service de la création photographique contemporaine.
Cette lecture des enjeux territoriaux par la photographie ne part pas d’une page blanche. L’engagement culturel de ce Manifeste s’inscrit dans une longue tradition de la photographie documentaire à l’exemple des emblématiques Missions Photographiques de la DATAR qui restent en France la grande référence historique avant celle des Observatoires du Paysage ouverts aux imaginaires et aux représentations sociales. Des initiatives photographiques ont été lancées (Radioscopie de la France), en filiation directe avec cette expérience mythique, mais les Pyrénées demeurent toujours absentes de ce champ photographique alors que ce territoire est au centre des enjeux contemporains de l’environnement, du climat, des nouvelles orientations économiques et donc au cœur des transitions qui y sont liées : déstabilisation de la ressource en eau, fragilité de la gestion forestière et du pastoralisme, redéfinition du rapport au vivant, nouveaux rapports à la nature et à la biodiversité, sur-fréquentation par les métropoles, etc. Une nouvelle géographie humaine de la montagne pyrénéenne est en train d’émerger ouvrant ainsi cette société montagnarde vers de possibles bifurcations de son développement. Le risque d’une fragmentation de cette entité montagnarde demeure toujours latent : l’absence d’efficience d’une coopération territoriale entre les acteurs peut à tout moment en effet basculer vers la perte d’une responsabilité partagée des Régions malgré des sujets pourtant communs (quelles dimensions relationnelles par exemple entre Pyrénées-Méditerranée, …).
Pour donner une lisibilité contemporaine aux Pyrénées, il devient aujourd’hui urgent de les associer à de grands enjeux nationaux et européens dans l’objectif de solliciter de nouvelles responsabilités partagées des Régions qui composent ce que nous désignons ici comme le dernier Château d’eau de l’Europe du Sud. Ainsi, l’IPP développe une approche européenne et transfrontalière du Massif pyrénéen, considérant cet espace comme le lieu emblématique des transformations profondes liées aux évolutions climatiques (le réchauffement y est plus rapide) et aux nouveaux équilibres sociétaux, économiques et écologiques qui en dépendent. L’engagement de l’IPP fait écho en ce sens au travail scientifique de l’Observatoire Pyrénéen du Changement Climatique (OPCC) en mettant en évidence le besoin d’une documentation photographique concrète des transformations en œuvre. Cette actualisation photographique des grands enjeux qui sont en œuvre permettrait de sortir d’une forme de concurrence et de compétition entre les territoires, pour donner à voir et à comprendre les Pyrénées dans leurs pleines dimensions de complémentarité, d’une Région à l’autre, d’une Métropole à l’autre, d’une Mer à l’autre comme une porte qui resterait ouverte sur le monde.
Porté par cette dimension pyrénéenne relationnelle, l’IPP s’inscrit dans les orientations européennes de la Mission Opérationnelle Transfrontalière (MOT). En effet, à travers la définition d’un laboratoire transfrontalier se pose la double nécessité à la fois d’une documentation de ces territoires d’action et celle d’un rapprochement des acteurs culturels où la photographie cherche aujourd’hui une action structurante. Soutenu par les Euro-régions Pyrénées-Méditerranée et Nouvelle Aquitaine-Euskadi-Navarre ou encore par une approche plus territoriale de la culture par la Direction Régionale des Affaires Culturelles (DRAC), l’engagement de missions photographiques doit devenir le moteur d’une lecture renouvelée des trajectoires prospectives du Massif pour une contribution de l’image à un nouveau Récit pyrénéen. C’est pourquoi la Communauté de Travail des Pyrénées (CTP) constitue une échelle pertinente pour l’IPP car la seule à pouvoir valoriser, comme elle le fait pour l’OPCC, une vision interrégionale et globale du Massif pyrénéen y compris dans ses relations littorales et métropolitaines.
Ancré dans une volonté de coopération culturelle autour d’un changement de regard sur les Pyrénées, y compris dans leurs dimensions méditerranéennes et océaniques, l’objectif de ce Manifeste est de solliciter des dynamiques de rencontres et d’échanges afin de structurer un « écosystème photographique » ouvert sur une dynamique transfrontalière et au-delà, pour coopérer sur des projets communs. L’IPP se positionne aujourd’hui comme un acteur culturel et un incubateur de projets, moteur d’une aventure collective ouvrant sur des approches renouvelées de l’image pyrénéenne pour (re)fonder une nouvelle culture photographique au service des grands enjeux contemporains du monde pyrénéen, de ses territoires et de ses acteurs.
COL D’ARES – Janvier 2024
Mas de la Costa de Dalt
LES AUTEURS DU MANIFESTE
Jean-Guy UBIERGO
Président de l’IPP
Directeur de projet à la SEGESA (Paris 14e) pendant 12 ans sous la conduite de Jean-Claude BONTRON avec la création de « l’Observatoire des territoires de la DATAR », Jean-Guy UBIERGO a fondé MTP en 2005 sur des approches de prospective et de stratégie territoriale et urbaine, membre des Groupes de prospective de la DATAR-ANCT, Membre de la Société Française des Prospectivistes depuis 2013. MTP se positionne dans le domaine de la culture du changement sur des approches transitionnelles impliquant une lecture des enjeux territoriaux par la photographie documentaire : création de l’IPP en 2020. Il a participé à de nombreux Schémas de Massif pour les Pyrénées (analyse fonctionnelle des territoires de montagne) et a été aussi co-évaluateur en 2018 du positionnement stratégique de la CTP (Communauté de Travail des Pyrénées). Il est par ailleurs l’auteur d’une mission photographique 2007-2009 (projet européen) intitulée « Paysages sous-titrés » qui l’a conduit à travailler avec les Ateliers du Conseil de l’Europe dans la mise en oeuvre de la Charte Européenne du Paysage.
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Franck BROUILLET
Auteur photographe
Géographe de formation issu de l’Institut de Recherche sur les Sociétés et l’Aménagement (sous la Direction de Guy DI MEO) à la faculté de Pau et des Pays de l’Adour (UPPA), Franck Brouillet a travaillé dans le domaine de l’aménagement du territoire à l’échelle de la chaine des Pyrénées, des Pyrénées Orientales aux Pyrénées Atlantiques en s’engageant aussi auprès du Département de l’Ariège. Sa passion pour la photographie forgée sur la lecture géographique des espaces a finalement pris le dessus. En 2015, il s’installe dans la vallée d’Argelès-Gazost et devient auteur photographe indépendant. Cette installation ouvre alors de nouvelles collaborations avec des Collectivités et des Agences d’architecture pour des travaux de commande, tout en restant fidèle à cette dimension géographique entre Atlantique et Méditerranée. Il développe en parallèle des travaux photographiques plus personnels où sa propre sensibilité aux territoires ruraux, espaces naturels ou péri-urbains et à leurs évolutions guident ses approches et ses recherches autour d’une dimension sensible et documentaire.